Hello tout le monde,
Aujourd’hui, c’est dimanche, le jour de notre rendez-vous hebdomadaire « Premières lignes », qui a été initié par Ma Lecturothèque. J’ai choisi de vous présenter l’incipit du dernier roman de Douglas Kennedy, sorti chez Belfond début mai et qui fait écho à l’actualité… Il s’agit de « Les hommes ont peur de la lumière » .

« ON VA OÙ, LÀ ? »
C’était mon premier passager de l’après-midi. Je l’avais pris en charge devant l’un de ces grands immeubles de bureaux impersonnels de Wilshire, juste à la bordure de Westwood. Une course rapide, à peine trois kilomètres, vers un autre immeuble du même genre à Century City. Je l’ai observé dans le rétroviseur. La cinquantaine, costume beige mal coupé, corpulent – dans les cent vingt kilos, à vue de nez, et aussi gêné que moi par toute cette chair excessive. Il était en sueur, et pas seulement à cause de la température qui avoisinait les quarante degrés avec un taux d’humidité record.
« Eh ! On va où, là ? »
Le ton était légèrement agressif, typique des gens persuadés que « le temps, c’est de l’argent » et qu’il suffit de parler plus fort que tout le monde pour avoir raison.
« On va à l’adresse que vous m’avez donnée », ai-je répondu.
Dans ce métier, on se retrouve régulièrement face à des clients qui détestent leur vie.
« Mais merde, vous devez savoir que prendre Wilshire vers l’est à cette heure, un vendredi…
-D’après mon GPS, Wilshire Boulevard était censé rouler sans problème jusqu’à West Pico, ai-je dit tout en me demandant si un accident ne venait pas de se produire en plein sur notre trajet. Attendez, je vois si le GPS me propose un autre itinéraire.
-Je m’en tape de votre GPS. Vous ne connaissez pas la ville ou quoi ? Vous n’avez jamais regardé un plan ? Vous venez de décrocher ce job de loser, c’est ça ? »
Si ça n’avait tenu qu’à moi, j’aurais envoyé ce type infect aller se faire voir un peu plus loin. Mais je savais pertinemment que, si je disais quoi que ce soit, je risquais de me coltiner une plainte par e-mail… et de perdre ma seule et unique source de revenus. J’ai ravalé ma colère et conservé un ton poli.
« Je suis né ici, monsieur, si vous voulez savoir. Un véritable Angelinos. J’ai passé la plus grande partie de ma vie dans les bouchons.
–Ça ne vous a pas empêché de nous coincer dans ce putain d’embouteillage…
-Si le boulevard s’est encombré d’un coup comme ça, c’est que…
-C’est que vous ne connaissez pas votre boulot et que, comme tous les losers à peine capables de conduire, vous ne faites qu’écouter votre GPS à la con » .
Il y a eu un silence. Je m’étais raidi en l’entendant me traiter de loser pour la deuxième fois. Son sentiment de supériorité était on ne peut plus explicite. Je ne suis peut-être personne dans ce monde, mais je suis au moins trois échelons plus haut que toi au-dessus du néant.
J’ai compté jusqu’à dix.
Cette stratégie, je l’utilisais chaque jour pour contrôler ma rage en faisant ce boulot dont je me serais volontiers dispensé. Mais puisque mes espoirs de carrière étaient tombés à l’eau et que les seules autres possibilités qui s’offraient à moi étaient des jobs de cauchemar sous-payés – comme faire de la mise en rayon chez Walmart ou m’enterrer vivant dans un entrepôt Amazon huit heures par jour -, passer l’essentiel de mon temps au volant de ma voiture me paraissait l’option la moins pénible. Même avec un type comme celui-là à l’arrière.
…
Et vous, avez-vous lu ce roman ? Si oui, qu’en avez-vous pensé ? Si non, vous tente-t-il ?
Bon dimanche à vous, et à très vite !
K.
5 commentaires sur “Premières lignes # 97 – Les hommes ont peur de la lumière, de Douglas Kennedy”